Texte 8, Acte III, scène 8
Introduction:
Créé en 1737, sous le titre "La Fausse Confidence" "Les Fausses Confidences" est une pièce qui construit son intrigue autour de stratagèmes pour révéler l'amour.
Tandis que l'acte II se déroulait autour de l'aveu de Dorante, l'acte III se construit autour de l'aveu d'Araminte. Dubois a imaginé un nouveau stratagème pour forcer Araminte à avouer son amour pour Dorante : il lui fait écrire une fausse lettre dans laquelle il prétend quitter la France puisqu'Araminte s'apprête à le congédier. Marton, jalouse, a intercepté et a lu la lettre. Elle fait lire la lettre au comte devant tous les personnages réunis, sauf Arlequin et Dubois. Seul Monsieur Rémy peut donc soutenir Dorante.
Le grand nombre de personnages peut donc faire penser à un dénouement: toutefois, dans cet extrait, Dorante est renvoyé par Araminte, ce qui prouve que ce n'en est pas un.
LECTURE.
Problématique :
Le stratagème de la fausse lettre va t'il faire éclater la vérité et faciliter un dénouement heureux ?
Nous allons y répondre en suivant les mouvements du texte : I. le Comte lit et Mme Argante et la seule à réagir (l.1 à 15), II. Araminte réagit avec emportement tandis que M. Rémy valorise la sincérité amoureuse de son neveu (l.16 à 34), III. sans avouer encore explicitement ses sentiments pour Dorante, Araminte prend position et son amour devient perceptible aux yeux de tous les personnages encore présents sur scène.
I. La lecture publique de la lettre est constamment interrompue par les commentaires de Mme Argante
Le plaisir du passage repose sur le décalage entre Dorante et le spectateur d'une part, informés du stratagème de fausse lettre et les autres personnages, qui bernés, vont afficher la vérité de leurs sentiments. Madame Argante est en quelque sorte leur porte-parole dans ce premier mouvement.
Le Comte, en revanche, tout occupé à sa lecture, ne formule pas de commentaire, mais sa voix pourrait trahir ses émotions. En tout cas, dans ce premier mouvement, il est passif ce qui indique qu'il ne contrôle plus son projet personnel de mariage.
Lignes 1 à 3, R1. La première phrase renforce bien la partition entre les deux clans: Dorante d'une part et les autres désignés par le pronom indéfini "on", à l'attitude hostile comme le signale le verbe soupçonner. La formulation des phrases reste vague puisque le COD du verbe découvrir est encore un pronom indéfini "tout", si bien qu'un certain suspens est ménagé, la scène est placée sous le signe de la reconnaissance, mais le spectateur ne sait pas quelle vérité va éclater, s'agira-t-il du seul stratagème de la lettre ou Araminte va-t-elle vraiment laisser éclater ses sentiments? Pour les personnages présents, le nom d'Araminte n'est pas prononcé non plus, la lettre joue sur la périphrase « celle que j'adore ». Le vocabulaire pathétique qui caractérise Dorante désigné à la première personne du singulier, "chagrin", "renvoyé", "perdre le plaisir" le place en victime, ce qui ne peut qu'attendrir Araminte d'autant que le verbe adorer l'assimile à une déesse.
Ligne 4, R2. La remarque ironique de madame Argante vient interrompre la lecture (cf. points de suspension à la fin de R1). Elle répète le verbe adorer en adoptant l'énonciation à la 1ere personne, elle parodie en quelque sorte en Dorante, en utilisant son interjection exclamative "Ah !" pour se moquer de la démarche courtoise et précieuse du jeune homme. Elle réaffirme son opposition à Dorante et exprime son mépris pour la galanterie de Dorante qu'elle avait soupçonnée. Mais, malgré elle, elle insiste sur les sentiments de Dorante, ce qui presse d'autant Araminte.
Ligne 5, R3. Il s'agit de la fin de la phrase de R1. Toujours présenté en victime, avec le participe passé "méprisé", Dorante est cette fois caractérisé dans sa position sociale inférieure, ce qui est d'autant plus pathétique que la phrase est lue par le Comte en personne, lequel occupe une position sociale contre laquelle il ne peut lutter. L'adverbe "encore" présente cet obstacle comme un obstacle supplémentaire et crucial.
Ligne 6, R4. De même que pour la R2, madame Argante intervient ironiquement pour humilier Dorante. Elle utilise ici le procédé de la litote pour signifier que Dorante a très bien compris la différence sociale insurmontable qui l'écarterait d'Araminte. En fin de phrase, madame Armante juxtapose en effet Dorante en utilisant un déictique d'éloignement à valeur méprisante "celui-là" et Araminte en utilisant un déterminant possessif affectif "ma fille". Le possessif montre aussi que madame Argante refuse à sa fille sa liberté et qu'elle compte encore régenter sa vie et son projet de remariage.
Lignes 7-8 et lignes.10-11, R5 et R7. La phrase suivante qui, selon le même procédé sera interrompue par madame Argante oppose au mérite social (exposé en R3) le mérite personnel dont Dorante se glorifie. La formulation est subtileacar elle atteint trois objectifs:
- Elle flatte Araminte en lui refusant une attitude méprisante ( la proposition à la forme négative et rédigée au conditionnel "n'oserais" rend l'hypothèse inenvisageable)
- Elle rappelle sur un ton pathétique la fragilité de Dorante à la fois méprisé par le sort "mediocrité de ma fortune" et par le manque de consideration d'Araminte "méprisé" / "le peu que je vaux".
- Elle valorise Dorante en soulignant ses qualités : "honoré" / "estime" / "honnêtes gens".
Ainsi Dorante condamne la position de madame Argante et du Comte lesquels accordent de la valeur aux gens selon leur fortune, il ne les range pas dans le camp des honnêtes gens. Il pousse Araminte à prendre position.
Ligne 9 et ligne 12, R6 et R8. Les modalités interrogatives et exclamatives des deux interventions de madame Argante montrent son mécontentement, et son incompréhension, elle affirme son mépris pour Dorante et invite sa fille à la rejoindre. Son entêtement relève d'un comique de répétition. L'utilisation comique du mot "vertu" renforce l'opposition de valeurs entre estime et fortune.
Lignes 13-14, R9. Auquel cas annonce la conclusion de la lettre. Les trois phrases délivrent des informations de temps (la veille), de lieu (quitter Paris), et d'action (embarquer pour une destination inconnue - sans doute les Amériques). Ainsi Araminte doit comprendre l'urgence de la situation d'autant que la phrase de Dorante rappelle sa détermination.
Ligne 15, R10. La conclusion ironique de Madame Argante, satisfaite d'apprendre le départ d'un Dorante amoureux achève ce premier mouvement qui la montre méprisante et insensible.
Nous avons vu dans ce premier mouvement que les interventions de madame Argante n'ont pas seulement un rôle comique, elles augmentent la pression sur Araminte tandis que l'impatience du spectateur grandit : à quel moment et sous quelle forme Araminte va-t-elle se dissocier de l'opinion de sa mère ?
II. Araminte réagit enfin à la lecture en s'emportant, tandis que Monsieur Rémy semble le seul à soutenir son neveu.
Dans ce second mouvement, tous les personnages présents vont s'exprimer, ce qui confère un regain de dynamisme à la scène et montre aussi la divergence des points de vue sur l'enjeu du contenu de la lettre, chacun cherchant à défendre ses intérêts.
Ligne 16, R11. Avec le terme "d'embarquement" (qui fait écho au nom "galant" de madame Argante), M. Rémy fait songer à l'Embarquement pour Cythère (1717) de Watteau, peintre des fêtes galantes et rappelle ainsi le motif de cet embarquement qui est l'amour, invitant ainsi les personnages à admirer (cf. "beau" et la modalité exclamative) le sentiment amoureux de Dorante qui le conduit à un sacrifice, désespéré. Pour le spectateur qui saisit l'allusion aux fêtes galantes, c'est aussi le rappel qu'il assiste à une comédie divertissante.
Lignes 17-18, R12 et R13. La question rhétorique de madame Argante montre qu'elle cherche à mettre Araminte devant le fait accompli, Dorante est amoureux d'elle, mais son rang l'oblige à le renvoyer. Comme dans la R4, en achevant sa phrase par l'apostrophe "ma fille", elle use de son autorité et de son influence de mère. C'est le Comte qui répond, montrant par là qu'il se place du côte de madame Argante car leur point de vue et leurs intérêts sont liés, contre Dorante. En qualifiant l'éclaircissement de complet, il refuse à Araminte le droit de penser autrement et recherche son assentiment.
Lignes 19-20, R14. Une réponse claire d'Araminte est très attendue, or tout dans sa réplique témoigne de sa surprise: elle commence par un adverbe exclamatif indiqué par les phrases ??????????? "Quoi !", et de sa stupéfaction. Les didascalies internes indiquent qu'elle s'est saisie de la lettre pour s'assurer de son authenticité. Le spectateur apprécie particulièrement cet instant car il se souvient du piège qu'elle avait voulu tendre à Dorante en lui faisant elle-même écrire une fausse lettre (texte 7). Elle est bien en mesure de reconnaître l'écriture de Dorante. La première question fonctionne comme une question rhétorique, car en saisissant la lettre, elle y voit la réponse. Tandis que la deuxième phrase est directement adressée à Dorante pourtant elle ne lui laisse pas le temps de répondre.
Lignes 21 à 23, R15 et R16. Dorante, muet jusque là ne peut en effet prononcer qu'un mot que déjà Araminte le chasse. L'enchaînement rapide des deux répliques et de la didascalie qui signifie le départ immédiat de Dorante qui semble abandonner la partie confère un ton dramatique à la scène qui souligne l'impossible communication entre les deux personnages, et permet ainsi à monsieur Rémy d'engager une longue réplique.
Lignes 24 à 30, R17. Maintenant que son neveu a quitté la scène, M. Rémy, son seul allié, se fait son porte parole de Dorante. La longueur de la réplique en indique la visée argumentative. Les adverbes "Eh bien !", "Quoi?", qui l'introduisent marquent une transition entre l'émotion causée par le renvoi de Dorante et le temps de la réflexion et du raisonnement que M. Rémy veut engager pour inciter Araminte à revenir sur son emportement. Il la pousse à s'appuyer sur la réalité des faits comme l'indiquera la comparaison "tel que vous le voyez" et comme le signifiera la fin de sa tirade « Accommodez-vous (= faites-vous une raison) ». Il évoque ensuite le thème central de son propos l'amour que la tournure présentative c'est...que met en valeur et il reprendra ce thème au début de chaque phrase. Son raisonnement propose en quelque sorte un bilan de la situation de Dorante, il progresse en 3 arguments:
- D'abord, il rappelle la sincérité de Dorante en opposant implicitement son sentiment pour l'unique Araminte ≠ aux belles personnes, terme indéfini au pluriel amplifie ensuite dans la reprise "toutes celles qui".
- Ensuite, il souligne dans un registre réaliste le sacrifice en quittant son poste d'indentant "coûte quinze mille livres de rente" et les risques encourus par Dorante en prenant les mers, le pluriel associé au verbe "courir" donne une image amplifiée de ce risque.
- Enfin, à l'aide d'une subordonnée de condition "s'il était riche", il suggère d'envisager Dorante autrement qu'à travers le point de vue de madame Argante qui avait traité Dorante de personnage (plus haut dans la scène, avant notre extrait). Sa conclusion en contrefaisant madame Argante (= en la parodiant) pousse Araminte à ne pas tenir compte de l'avis de sa mère et à plutôt appuyer sur son propre sentiment.
Lignes 31 à 34, R18 et R19. À l'opposé de l'intervention de M. Rémy, la réplique immédiate de Marton, toujours jalouse, qui, en voulant introduire le nouvel intendant, pousse Araminte à oublier Dorante et à se tourner désormais vers le Comte ne laisse pas de repos à Araminte..
Lignes 35-36, R20 Araminte exprime son exaspération et son désarroi dans une phrase exclamative. L'impératif "Allez-vous-en" fait écho au "Retirez-vous" de la R16. Le ton est davantage celui de la comédie, car elle s'adresse à sa servante. Cette réplique clôt le deuxième mouvement, Araminte s'est emportée au point d'exclure de la scène deux personnages alors que l'allié de Dorante a également quitté le plateau. Ainsi, devant sa mère, elle doit faire face à son engagement auprès du comte.
III. Araminte, dans un demi-aveu, prend position en s'opposant au Comte et sa mère.
Il est enfin temps pour Araminte de prendre position. En refusant le nouvel intendant, elle avoue à demi-mots qu'elle préferait Dorante, pour lequel elle éprouve des sentiments et que donc elle ne veut pas épouser le comte.
Lignes 35-36, R21. Madame Argante use dans cette réplique des mêmes procédés qu'auparavant, elle rappelle son autorité de mère "ma fille" et invite Araminte à se rallier à la raison, ce qui par conséquent lui demande de mettre de côté ses sentiments. Mais aussi en rappelant que le nouvel intendant est recommandé par le Comte, elle explicite l'enjeu de l'engagement: ne pas engager le nouvel intendant c'est rejeter le Comte ! Dès lors s'engage une joute verbale entre Araminte et le Comte.
Ligne 37, R22. Araminte comprend pleinement cet enjeu et décide enfin de prendre une position claire. En utilisant la redondance "moi", "je", sujet d'un verbe de volonté "veux": elle s'affirme. Sa réponse est courte et précise.
Ligne 38, R23. La réplique du Comte s'interroge sur les conséquences de son projet de mariage. En effet, si rejeter l'intendant du Comte signifie rejeter le Comte alors elle n'épousera pas le Comte.
Ligne 39, R24. Araminte répète sa décision "Je n'en veux point", sans encore être en mesure de renoncer clairement au Comte, c'est pourquoi elle le laisse libre d'interpréter sa décision. Toutefois le spectateur qui attend l'aveu d'Araminte en décèle très bien les premiers indices, peut-être en même temps qu'Araminte elle-même.
Lignes 40-41, R25 et R26. Le Comte et madame Argante restent dans l'étonnement, car à la différence du spectateur il n'a pas une connaissance complète de la situation, pourtant ils soulignent le comportement inhabituel d'Araminte "un air de vivacité" / "je ne vous reconnais pas" ce qui prouve qu'Araminte est au bord de l'aveu. Aussi la dernière phrase interrogative "Qu'est-ce qui vous fâche?" pousse Araminte à être plus claire.
Lignes 42-43, R27. Le premier mot prononcé par Araminte, un pronom indéfini, dit d'emblée qu'elle n'avouera pas lors de cette scène. Elle n'utilise en effet que des termes génériques "façons", "moyens" et reprend même le pronom "tout". Parallèlement, elle utilise un vocabulaire du désagrément "mal", "désagréables", "offensants" qui suffit à dire son insatisfaction.
Ligne 44, R28. La dernière réplique de madame Argante montre l'incompréhension, la rupture entre les personnages et l'échec de la scène du point de vue du Comte auquel elle s'associe en utilisant le pronom "nous".
Conclusion:
Si le lecteur a bien compris qu'Araminte n'a jamais été aussi proche de l'aveu, la scène à laquelle participaient presque tous les personnages laissant penser dans un premier temps que nous arrivions peut-être au dénouement se termine par un échec d'autant que madame Argante et le Comte désertent aussi le plateau juste après notre passage laissant Araminte seule face à elle-même. La situation n'est pourtant pas désespérée car Dubois est plein de ressources et la fausse lettre a fait évoluer Araminte dans le sens de l'aveu, dévoilant un peu plus de la vérité de ses sentiments. et précise.
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