Texte 2 : L'aveu


Introduction:

La Princesse de Clèves est un roman écrit en 1678 par Madame de Lafayette qui analyse l'amour sur le plan personnel. Mariée tôt dans le roman au Prince de Clèves pour lequel elle n'éprouve aucune inclination, la Princesse tombe amoureuse du Duc de Nemours. Prévenue des dangers de l'amour par sa mère et par différents épisodes dans le roman, elle décide dans le troisième tome d'avouer ses sentiments adultères à son mari. Le Prince l'a rejointe à Coulommiers, qui s'étonne de la voir prolonger son séjour: elle se sent obligée de se justifier.

 

Lecture.

 

Cet aveu central et décisif pour la suite du roman peut-être considéré comme un élan exceptionnel de sincérité, à tel point que les contemporains de Madame de Lafayette le trouve invraisemblable. La Princesse, parvient-elle, dans cet aveu dramatique, à se conduire en héroïne de la vertu? Nous allons maintenant procéder à l'analyse linéaire des mouvements du texte qui correspondent aux paragraphes.

 

I. Le discours de la Princesse:

A. La Princesse valorise la démarche professionnelle de cet aveu

  • Cet aveu exige de la force.

          - L'interjection "eh bien!" illustre cet effort qui est rythmé par une allitération en j dans la première phrase assez longue, qui amorce un aveu difficile.

  • La princesse est déterminée et cela est amplifié par des effets de dramatisations.

          - Le verbe "se jeter" admet un mouvement violent.

          - Le futur catégorique "je vais vous faire" renforce sa détermination.

  • Ce caractère est héroïque.

          - Hyperbole: "jamais fait à son mari"

          - Elle relativise sa faute en utilisant les termes "innocence" et "intentions", qui appartient au vocabulaire religieux.

 

B. La Princesse avoue ses faiblesse.

  • L'aveu d'une fuite.

          - Tournure impersonnelle: "il est vrai que".

          - Explications avec infinitif appartenant au champ lexical de la fuite.

          - Pluriels: "les périls", "les personnes" qui sont des termes génériques et la détourne d'une culpabilité personnelle.

  • Un aveu à demi-mots

          - Elle ne nomme pas les choses précisément.

          - Elle utilise des euphémismes parce qu'elle a du mal à l'avouer ou par bienséance.

 

C. La princesse se présente comme une victime malgré elle.

  • Elle fait l'apologie de sa conduite passée.

          -négation redondante ("jamais", "nulle").

  • Sa confession est d'une grande ambiguité.

          - Elle avoue sa faiblesse (≠ infaillibilité qu'elle vient d'affirmer)

          - Elle veut se montrer vertueuse aux yeux de la société de la cour.

          - Elle cherche à fuit et non à affronter : "me retirer", "aider à me conduire" qui sont deux subordonnées "se" ou "si" en position d'objet, de victime de la passion et non d'héroïne.

 

D. Elle affirme le sens de son aveu.

  • Elle montre sa bravoure héroïque.

          - Retour du "je", sujet avec répétition de "prends".

          - Opposition de "dangereux" et de "joie".

  • Elle montre sa fierté aristocratique.

          -"digne de vous": mari aimant.

          -"digne de vous": noblesse.

  • Elle réclame la pitié.

          - Hyperbole: "milles pardons".

          - Profession de foi au futur de l'indicatif.

          - Elle reste dans un aveu indirect "des sentiments qui vous déplaisent" = j'en aime un autre.

          - Elle oppose dans cette phrase sentiments et actions et minimise encore ses sentiments.

 

E. Péroraison: elle exalte sa grandeur.

  • On retrouve des hyperboles, des superlatifs qui affirme une confiance dans ce couple.

          - Opposition entre "amitié", "estime" et "sentiments".

          - Enumération du mode impératif, gradation. "Conduisez-moi" fait référence à sa mère; "Ayez pitié de moi" appelle au pardon de quelqu'un de supérieur; et "Aimez-moi" est un rappel de la passion.

  • Ces impératifs la placent sous la bienveillance, et l'autorité de son mari.
  • La phrase "aimez moi encore si vous pouvez" produit chez le Prince un mélange d'admiration et de jalousie.

 

Le deuxième mouvement du passage est marqué par un retour à la ligne et au récit au plus-que-parfait qui se déroulait pendant le discours.

II. Description des personnages et réaction du Prince

A. Une scène de tragédie.

  • Une gestuelle qui illustre le désespoir et qui est caractéristique de l'aveu:

          - "agenouillée", "la tête appuyée", "le visage couvert de larmes"

          - Cette gestuelle donne de la grandeur, de la noblesse à la Princesse.

  • Le Prince est immobile car il subit un choc émotionnel.

          - "Hors de lui-même" le montre avec l'esprit accablé.

 

B. Une prise de parole retardée et dramatisée.

  • Une longue phrase qui juxtapose 3 subordonnées.

          - Introduites par quand et qu' : juxtaposée de temps qui retarde la prise de parole et donnent le temps à Monsieur de Clèves de reprendre ses esprits.

          - Pour le lecteur, c'est un effet d'attente et de dramatisation.

  • L'attente est prolongée par le portrait de la princesse (larmes + admirable).
  • L'expression "il jeta les yeux sur elle" est aussi un indicateur des sentiments amoureux.
  • Son geste (l'embrasser et la relever) le fait voir comme un parfait amant.

 

Ce deuxième mouvement n'est donc pas une simple transition mais un prologue qui annonce le discours du Prince.

 

III. Réponse de Monsieur de Clèves.

A. La reconnaissance du mérite de la Princesse.

  • Le trouble de Monsieur de Clèves est perceptible à la syntaxe de la phrase, l.15 qui hésite entre le "vous" (Princesse) et le "je" (Prince).
  • D'abord, il réclame la pitié, puis il essaye de se hisser à la hauteur de la Princesse, ce qui prouve qu'il reconnait le mérite de son épouse.
  • Il exprime sa souffrance avec le terme "affliction", amplifiée par une assonance en i (style tragique) mais il ne livre pas encore ses sentiments.
  • On retrouve le vocabulaire hyperbolique utilisé par la Princesse dans le premier mouvement. Le Prince reconnait donc la grandeur de la Princesse.

 

B. La souffrance tragique d'un amant.

  • "Mais" : marque l'opposition par rapport à l'admiration.

          - La souffrance est aussi exprimée en termes hyperboliques et est donc aussi grande que la Princesse est admirable.

  • L'amour décrit par le Prince est conforme à l'amour courtois et à l'amour précieux, qui est un amour pur et entier renvoyant aux scènes de rencontre entre la Princesse et le Prince et la Princesse et Nemours.

          - Le lecteur mesure l'ironie tragique du discours puisqu'il connait la différence entre les deux rencontres. Il prend conscience du verbe "craindre".

  • Le vocabulaire utilisé par le Prince est le vocabulaire d'un amant et non d'un mari. Il parle de "passion", d'"amour", termes présentés par Madame de Chartres comme inutile au mariage.
  • Le drame du Prince est de n'avoir jamais rendu sa femme amoureuse de lui. C'est le sens de la phrase : "j'en ai jamais pu vous donner de l'amour", qui oppose "et je vois que vous craignez d'en avoir pour un autre" (jalousie).

 

Conclusion:

Cet extrait suscite une double émotion chez le lecteur car c'est à la fois l'aveu partiel de la Princesse et l'aveu total du Prince de tout son amour, sa douleur et sa jalousie. Les deux personnages sont des héros tragiques puisque la Princesse est partagée entre la volonté de se montrer vertueuse et sa passion pour Nemours. Le Prince est lui digne, accablé par le malheur et découvre la jalousie qui va modifier son destin dans la suite du roman. Les personnages sont remarquablement complexes et relancent l’intérêt dramatique du roman, d'autant plus que Nemours assiste en cachette à la scène.

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