TEXTE 6, Les Fausses Confidences, Acte 1, scène 14


Introduction:

Créé en 1737, sous le titre "La Fausse Confidence" "Les Fausses Confidences" est une pièce qui construit son intrigue autour de stratagèmes pour révéler l'amour.
A la fin de l'acte I, Araminte a engagé Dorante comme un intendant. Desormais un service d'Araminte, Dubois déploie une stratégie complexe pour favoriser le mariage entre Araminte, riche veuve, et Dorante, amoureux mais pauvre.
On assiste durant la scène 14 à la première confidence de la pièce: Dubois domine la scène tandis qu'Araminte, décidée à congédier Dorante, s'exclame à la fin "Quelle aventure!"

Problématique:

Comment Dubois a-t-il réussi à opérer ce changement ? C'est-ce que nous allons montrer dans une analyse linéaire qui suivra les mouvements du texte: de la ligne 1 à 7: la confidence de Dubois, de la ligne 8 à 17 : le portrait de Dorante et de la ligne 18 à 22, la rencontre avec Araminte.


I. Le dialogue entre une maîtresse et son valet qui vient de lui révéler la folie amoureuse de son intendant (L. 1-7)

  • Ligne 1. À sa place de maîtresse de maison raisonnable, verbe de volonté à la première personne du singulier (sujet), congédier: décision ferme MAIS elle se montre curieuse quand même : phrase interrogative.

          > Juxtaposition des quatres montrent une dualité qui est présente chez Araminte.

 

  • Ligne 2. La réponse de Dubois accentue la politesse du valet envers sa maîtresse: vouvoiement + apostrophe : "Madame" + formule "j'ai l'honneur de". Il révèle vite le nom de l'élue pour qu'Araminte poursuive ses questions.

 

  • Ligne 3. Réplique très courte d'Araminte, 3 mots + ?
              > Dubois reprend la parole pour développer sa ruse lignes 4-5

 

  • Lignes 4-5. Dubois n'est pas encore très organisé comme le montre la juxtaposition des phrases car il improvise sa stratégie. Il flatté Araminte et l'assimile à une déesse: "adore" "enchante". On retrouve aussi le champ lexical du regard: "vit" "contempler", "voir", révateur de l'amour. Dubois essaye ensuite d'en savoir plus en impliquant Araminte en utilisant le pronom "vous". Ce n'est plus une phrase interrogative mais affirmative.

 

  • Lignes 6-7. "il y a bien en effet quelque petite chose qui m'a paru extraordinaire. Eh ! Juste garçon, de quoi s'avise-t-il ?"
    Tout dans la première phrase d'Araminte affirme son intérêt pour Dorante,
    Les adverbes "en effet" et "bien" confirment ce que vient de dire Dubois, mais l'expression est encore indéfinie "quelque petite chose". L'antithèse "petite" / "extraordinaire" traduit la découverte du sentiment par Araminte qui, aucontraire de Dubois, ne calcule pas, ne ment pas et s'interroge spontanément sur ce qu'elle éprouve, puis elle se ressaisit.
    La phrase exclamative qui suit est un sursaut qui l'aide à retrouver sa position de maîtresse (cf ligne 1) et elle renvoie aussi à la comédie avec les interjections qui appartiennent à ce langage. Et quand Araminte trahit sa compassion en utilisant l'adjectif "pauvre", grâce à la double énonciation, le spectateur sourit du double sens de pauvre, car Dorante est vraiment pauvre, au sens propre.

Ainsi Dubois s'empresse de reprendre ces deux éléments (le double sens de pauvre et le pathétique) pour engager le portrait de Dorante et mener à bien sa fausse confidence, c'est l'objet du deuxième mouvement de l'extrait.


II- Le portrait dément de Dorante (L.8 à 16)

Réplique 6. Dubois exerce son talent de manipulateur en s'engageant dans une longue phrase complexe constituée de 8 propositions (2 indépendantes + 1 principale +5 subordonnées).

 

  • Lignes 8-9. "Vous ne croiriez pas jusqu'où va sa démence; elle le ruine, elle lui coupe la gorge." "Il" implique immédiatement Araminte avec le pronom personnel vous et place sa démonstration sous le signe de l'hyperbole et de la démesure: le substantif "démence" associé au conditionnel dans une phrase négative vise à dire l'inimaginable. Dubois décrit en associant un lexique réaliste à des expressions hyperboliques un personnage en proie à un malaise profond dû à la passion. Les propositions font penser à la folie d'Harpagon (dans L'Avare de Molière) lorsqu'il découvre qu'on lui a volé sa cassette. Il cherche à provoquer chez Araminte admiration et apitoiement tout en restant dans le registre de la comédie.

 

  • Ligne 9. Puis il brosse un portrait positif de Dorante en 4 qualités : "Il est bien fait, d'une figure passable, bien élevé et de bonne famille" autant de qualités qui en font un prétendant parfait pour Araminte; pas besoin d'insister sur sa beauté ("passable", c'est peut-être une litote puisque Araminte a eu le temps de le remarquer dans l'acte 1) observer et apprécier les qualités physiques et morales de Dorante. "Mais il n'est pas riche"; Alors Dubois fait tomber le dernier obstacle qui pourrait retenir Araminte: la condition de Dorante. En rejetant l'unique adjectif à la fin, le valet minimise cet aspect et laisse penser que Dorante ne s'intéresse pas à la fortune d'Araminte.

 

  • Ligne 10. "Vous saurez qu'il n'a tenu qu'à lui d'épouser des femmes qui l'étaient, et de fort aimables." Dubois implique à nouveau Araminte avec le pronom personnel "vous" et un futur à valeur injonctive comme pour la mettre devant un fait accompli, une évidence. Il est aimé de femmes riches et de mérite: Araminte peut donc l'aimer aussi sans déroger à son rang. Cette «confidence » accrédite l'idée que Dorante est désirable.
    En fin psychologue, Dubois flatte Araminte tout en la plaçant dans une posture inconfortable quand il évoque la multiplicité de ses rivales potentielles (pluriel, l'anonymat des prétendantes) à valeur d'hyperbole et qu'il suscite sa jalousie en mentionnant une jeune femme en particulier "qui n'en saurait revenir, et qui le poursuit encore tous les jours". Pour donner du crédit à son propos, il s'appuie sur son témoignage personnel "je le sais, car je l'ai rencontrée."

          → Ainsi dans cette longue réplique, Dubois allie subtilement le lexique de l'argent à celui de l'amour. Il éveille la jalousie d'Araminte au point de lui faire oublier que Dorante est sans fortune. De plus, il se porte garant d'une confidence qu'il se plaît à rendre fausse.

 

  • Réplique 7. La réplique d'Araminte frappe par sa brièveté, un seul mot ! L'adverbe "Actuellement !/?" suivant les éditions laisse entendre qu'A. réalise l'urgence qu'il y a à s'attacher Dorante. Et la didascalie souligne sa volonté de paraître détachée alors que justement son intérêt pour Dorante grandit au fil de son entretien avec Dubois.

          → Dubois met à jour les sentiments d'Araminte et la pousse à les dissimuler.

 

Réplique 8. Dubois se fait le porte-parole de Dorante et prend au piège Araminte. Il reprend la parole en s'appuyant sur le seul mot prononcé par Araminte, il développe le mensonge en insistant sur la réalité du personnage dont il donne des détails physiques peut-être à l'opposé d'Araminte une grande brune très piquante. Puis, il rapporte à Araminte au discours direct les réactions (imaginaires) de Dorante lorsqu'on lui propose des mariages avec des femmes fortunées : "Je les tromperais, me disait-il; je ne puis les aimer, mon cœur est parti". C'est un moment clé de cette fausse confidence de Dubois à Araminte, car Dubois utilise la 1ère personne comme si c'était Dorante qui parlait. Dubois achève le tableau romanesque avec des précisions sur la sensibilité et l'honnêteté extrêmes de Dorante.

          → Araminte, personnage la plus vertueuse et honnête de la pièce, se trouve ainsi piégée : comment pourrait-elle avoir la cruauté de renvoyer ce pauvre Dorante transi d'amour ?

 

  • Ligne 17. "Cela est fâcheux; mais où m'a-t-il vue, avant que de venir chez moi, Dubois ?" L'avant-dernière réplique d'Araminte oppose deux attitudes lune rationnelle et sage « Cela est fâcheux » et une curiosité (phrase interrogative) qui révèle son attachement à Dorante. L'opposition est introduite par la conjonction de coordination adversative "mais", elle ne peut résister à la tentation d'en savoir plus et c'est elle qui invite Dubois à s'engager dans un récit de leur première rencontre; elle prouve ainsi que le stratagème de Dubois fonctionne bien.


III. Le récit de la première rencontre (L. 18 à 22)

Réplique 10. L'adverbe exclamatif "Hélas !" place le récit sous le signe de la fatalité tragique.
Dubois se livre ici à ce qu'on appelle au théâtre un récit: il raconte des événements qui se sont produits avant le début de l'intrigue. On retrouve les caractéristiques du récit avec les temps du passé "ce fut un jour que vous sortîtes de l'Opéra", l'omniprésence de la 3me personne (en référence à Dorante); des indications spatio-temporelles précises "l'Opéra", "c'était un vendredi"... Ce récit montre les qualités de conteur Dubois car, imaginaire ou réel, il suit les étapes du schéma narratif et semble ici improviser comme les comédiens italiens de la comédia del arte : il fait semblant d'hésiter sur le jour de leur rencontre un vendredi. Il s'agit d'une vision de l'amour empruntée aux romans précieux du XVIIe siècle, faite pour flatter Araminte qui se voit en héroïne de du coup de dre au premier regard il vous vit descendre de l'amoureux transi il perdit la raison, extasie, il ne remuait plus. Même le spectateur ne sait pas exactement démêler le vrai du faux. Dubois est le pivot central: ex-confident de Dorante et confident d'Araminte.

 

  • Ligne 22. "Quelle aventure !" L'exclamation d'Araminte témoigne une fois encore de son émotion et le terme "aventure" qu'elle emploie confirme qu'elle est réceptive à ce récit romanesque mais cela montre aussi sa surprise et sa naiveté à prendre cette rencontre pour le fruit du hasard, selon l'étymologie de ce mot, alors qu'en réalité il n'en est rien.

 

Conclusion :

Cette première fausse confidence montre toute l'habileté de Dubois à manipuler Araminte qui découvre dans ce passage qu'elle n'est pas indifférente à Dorante. La fin de la scène la montrera même très protectrice à l'égard de son intendant. Dubois montre ici qu'il maîtrise parfaitement l'art de l'éloquence et qu'il possède le caractère stratège du valet. Dans un récit vivant et persuasif, il livre un portrait touchant de Dorante, qui ne peut que toucher Araminte. En laissant apparaître des rivales potentielles il donne le beau rôle à la jeune femme qui devrait se laisser séduire facilement, d'autant plus que cette scène se fait sous le sceau de la confidence. Dubois a su servir les intérêts de son ancien maître avec brio.

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