Texte 5


Victor Hugo écrit en 1845 Les Misérables. Ce livre raconte l'histoire de Jean Valjean, alias Monsieur Madeleine, qui est devenu, après un passé de bagnard, maire de Montreuil-Sur-Mer, un individu généreux et bien intégré à la société. Un jour, un homme pris pour JVJ, Champmathieu, risque d'être condamné à sa place à bagne à vie pour un autre vol.

Dans un texte rédigé à la 3ème personne, l'auteur partage les pensées du personnage sous forme de monologue intérieur avec un point de vue interne. Le lecteur découvre donc le récit du dilemme. Faut-il se dénoncer pour sauver Champmathieu?

LECTURE

 

Comment l'auteur parvient-il, à travers un simple récit, à nous faire partager ce questionnement moral du protagoniste?

 

C'est la question à laquelle nous allons tenter de répondre grâce à une analyse linéaire en suivant les mouvements du texte: I) Face à un dilemme, Jean Valjean hésite, lignes 1-4, II) Premier plan de la réflexion en diptyque: Jean Valjean présente ce qu'il risque de perdre s'il se dénonce, lignes 5-13, III) Deuxième de la réfléxion sur tout ce qu'il revivra s'il se dénonce, lignes 14-22, IV) L'irrésolution de Jean Valjean, lignes 23-24.

 

 

I) Face à un dilemme, Jean Valjean hésite, lignes 1-4


  • Insistance sur les termes du dilemme: "deux", "tour à tour", "égale". VH utilise aussi un comparatif d'égalité : "aussi funèbre l'une que l'autre".
  • L'enjeu est souligné par l'expression du tragique "épouvante"
  • Lignes 3-4: VH utilise de nombreuses phrases exclamatives, ce qui traduit une grande émotion, terreur du personnage qui est dominé par ce qui lui arrive. De même, le discours direct et les phrases nominales exprime l'émotion.
  • JVJ utilise des termes relatifs au destin mais qui sont opposés, comme "fatalité" qui a une connotation négative, et "providence" qui a cette fois une connotation positive.

Le dilemme montre donc ici une grande émotion visible grâce au discours direct, partagée par le lecteur, et les enjeux graves liés au revers de la Fortune qu'on voit grâce au registre tragique.

II) Premier plan de la réflexion en diptyque: Jean Valjean présente ce qu'il risque de perdre s'il se dénonce, lignes 5-13


La 1ère partie de la réflexion de Jean Valjean est construite comme un tableau en diptyque. Entièrement rédigée au mode conditionnel, elle montre qu'il envisage sa dénonciation comme une condition préalable.

Dans ce mouvement, à la différence du précédent, on observe de nombreux rythmes ternaires qui développent avec nostalgie tout ce que le personnage devrait quitter. Ils participent à un élan général d'amplification et d'idéalisation de la vie heureuse qu'il devrait abandonner s'il se dénonçait: dire adieu à cette existence si bonne, si pure, si radieuse. La succession des adjectifs mélioratifs, amplifiés par l'adverbe intensif "si" expose les regrets de Jean Valjean. La suite de la phrase met en évidence, toujours avec un rythme ternaire, les valeurs desquelles il devrait se détacher: "à ce respect de tous, à l'honneur, à la liberté !". Il s'agit bien de l'estime et de valeurs morales qu'il a dû se réapproprier et qui lui sont si importantes après ses 19 années passées au bagne.

Le mouvement est aussi marqué par le registre élégiaque, illustré par des phrases exclamatives et pour la plupart négatives, des lignes 5 à 12, pour exprimer le chagrin causé par la perte. Ces privations concernent des domaines simples de la vie quotidienne, et Victor Hugo s'attache à évoquer les cinq sens:

  • L'ouïe "il n'entendrait plus chanter les oiseaux"
  • Le toucher "il ne sentirait plus la douceur"
  • Le goût et l'odorat "son café", 
  • La vue avec la promenade "dans les champs"

 

Il y ajoute les rapports humains qu'il entretient, notamment avec les plus faibles « il ne ferait plus l'aumône aux petits enfants ! Il ne sentirait plus la douceur des regards de reconnaissance et d'amour fixés sur lui !". Son lieu de vie est ensuite présenté sous forme de gradation descendante pour mettre en valeur son importance "cette maison qu'il avait bâtie, cette chambre, cette petite chambre". Le pronom indéfini hyperbolique "tout" dans "tout lui paraissait charmant" confirme l'accablement du personnage.

Le parallélisme syntaxique de phrases négatives qui suit "il ne lirait plus dans ces livres, il n'écrirait plus sur cette petite table de bois blanc !" souligne que même le travail de l'esprit lui serait interdit. La première partie de ce diptyque s'achève sur le mot "matin", comme pour indiquer que c'est sa dernière nuit ici.

III) Deuxième de la réflexion sur tout ce qu'il revivra s'il se dénonce, lignes 14-22


Le passage au deuxième tableau du diptyque est indiqué par un deuxième appel à Dieu, ligne 13, qui associe la locution adverbiale "au lieu de cela", ce qui indique bien l'opposition. JVJ va maintenant évoquer tout ce qui l'attend s'il se dénonce. Cette fois-ci, la plupart des constructions sont au mode infinitif, comme s'il ne pouvait déjà plus être sujet d'action, comme s'il était déjà rendu à l'état de bagnard déshumanisé.

 

La première phrase est nominale et accumule simplement des termes réalistes liés au bagne: « la chiourme, le carcan, la veste rouge, la chaine au pied, la fatigue, le cachot, le lit de camp». L'énumération de rythme ternaire (impair) participe à l'amplification des misères à venir et comme pour l'expression "tout lui paraissait charmant". On trouve une dernière expression résumant de manière hyberbolique le désespoir en perspective, qui rappelle son passé malheureux "toutes ces horreurs connues !".

 

JeanValjean a maintenant 54 ans, et il va insister sur la fatigue liée à son existence, avec le champ lexical de l'âge "À son âge", "Si encore il était jeune !", "vieux". Il évoque aussi son statut "après avoir été ce qu'il était" et le respect qu'on lui donne actuellement par opposition au fait "d'être tutoyé par le premier venu". Cette déchéance, ce déclassement lui coûte; il reprend ensuite cette idée sous forme de discours direct imaginé montrant par là qu'il se projette complètement dans cette situation et la vit presque déjà "Celui-là, c'est le fameux Jean Valjean, qui a été maire à Montreuil-sur-mer".

 

Après l'évocation des difficiles conditions de vie qu'il retrouverait, le champ lexical de la violence, lié à celui du corps met en évidence avec réalisme les sévices physiques qui l'attendent, sous forme d'énumération de verbes à l'infinitif : "recevoir le coup de bâton de l'argousin ! avoir les pieds nus dans des souliers ferrés ! tendre matin et soir sa jambe au marteau du rondier" et "Le soir, ruisselant de sueur, accablé de lassitude, le bonnet vert sur les yeux, remonter deux à deux, sous le fouet du sergent, l'escalier-échelle du bagne flottant". Les rimes suivies internes "yeux" / "deux", "sergent" / "flottant", ligne 20, semblent amplifier le piège auquel le personnage est acculé (effet de routine, dans lequel il se sent piégé).

 

Les dernières phrases du mouvement, exclamatives, et précédées de l'interjection "Oh !" associent un registre pathétique au registre élégiaque et soulignent le sentiment d'injustice auquel est confronté Jean Valjean. La première exclamative, nominale, "Quelle misère!" sonne en écho au titre original du roman: "Les Misères". L'allégorie qui suit élargit la réflexion du personnage et ainsi celle du lecteur. Le double parallélisme construit avec des verbes d'état "être" et "devenir", suivis chacun d'une comparaison, mettent en valeur le désespoir de Jean Valjean. La phrase est une question dans sa syntaxe, pourtant la marque de ponctuation est l'exclamation: le personnage semble certain de la noirceur du monde, notamment avec l'emploi de ces adjectifs très négatifs "méchante" et "monstrueuse".

 

Ce troisième mouvement a présenté de manière duelle d'une part ce que perdrait Jean Valjean en se dénonçant, et d'autre part l'univers du bagne qu'il retrouverait malheureusement.

IV) L'irrésolution de Jean Valjean, lignes 23-24


Ce dernier mouvement indique que Jean Valjean n'est pas encore parvenu à se décider. L'emploi de l'imparfait fréquentatif "il retombait" et de l'adverbe "toujours" indique que c'est une réflexion qui est comme un cercle vicieux, sans fin. La phrase donne aussi l'image d'une chute avec le verbe "retombait" et l'expression "au fond de sa rêverie". Les deux dernières phrases exclamatives fonctionnent à la fois en parallélismes de construction et en chiasme "rester dans le paradis, et y devenir démon!"  // "rentrer dans l'enfer et y devenir ange!".

 

Il n'y a pas de solution: rester dans la société et culpabiliser ou se dénoncer, aller au bagne et avoir ainsi une attitude vertueuse. Le titre du chapitre "Tempête sous un crâne" présente bien sous forme métaphorique le dilemme auquel est confronté le personnage.

 

Conclusion

 

Ainsi, cet extrait correspond à l'une des problématiques liée au parcours individu, morale et société: quelle attitude Jean Valjean doit-il adopter en son âme et conscience pour être juste envers lui-même, envers Champmathieu, envers la population de la ville de Montreuil-sur-mer dont il est le maire et enfin envers Fantine à qui il a promis sur son lit de mort de s'occuper de Cosette ? Le chapitre met en lumière le débat intérieur du personnage, en proie à la solitude face à son tourment. Il 's'agit d'un examen de conscience approfondi. Finalement, Jean Valjean décidera de se dénoncer, et ainsi ira à nouveau vers la vertu, choix moral qui peut rappeler le renoncement de la princesse de Clèves.

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