Texte 10, Acte III, scène 7, Montserrat


Montserrat, tragédie écrite par Emmanuel Roblès en 1948, a pour cadre la guerre d'Indépendance au Venezuela. Le héros éponyme qui a rejoint le camp des rebelles Vénézuéliens contre les Espagnols dirigé par Bolivar a été arrêté par le lieutenant espagnol Izquierdo. Ce-dernier a mis au point un terrible stratagème en forme de chantage. Il a arrêté 6 innocents dans la rue et menace de les fusiller si Montserrat ne livre pas Bolivar.

À la scène 7 de l'acte III, quatre otages ont déjà été exécutés, une belle jeune fille, Eléna, est devant le peloton d'exécution. La sixième otage, une mère, qui n'est pas sa mère, essaye d'arrêter les mises à mort puis Izquierdo revient à la charge. Montserrat ne cède toujours pas.

 

LECTURE

 

En quoi l'échec du stratagème d'Izquierdo rend-il ce passage particulièrement théâtral ?

Nous répondrons à cette question en procédant à une analyse linéaire qui suivra les mouvements du texte I) les supplications de la mère (lignes 1 à 7) II) la pression exercée par Izquierdo (lignes 8 à 17), et III) l'échec de la mère. Le nombre important de personnages présents sur scène qui entourent Montserrat augmente la tension.

 

 

I. Les supplications de la mère, lignes 1 à 7


La mère est réduite à crier un message qui résonne comme celui de la dernière chance.

 

On est frappé par les répétitions de mots dans toute sa réplique constituée uniquement de phrases exclamatives courtes. Ces procédés témoignent de l'intensité dramatique du passage, de l'urgence de la situation et de la panique qui s'empare de la mère. Le premier mot, l'adverbe « non » est prolongé par de nombreuses autres négations qui résument le sens général de son intervention : il ne faut pas tuer Elena. On le voit grâce à des termes comme mots : "non", "arrêtez", "il va parler", "tu ne veux pas", et "vous ne savez pas".

 

La mère s'adresse à différents personnages, car elle recherche désespérément un interlocuteur qui l'écoutera et arrêtera l'engrenage tragique. Les didascalies qui indiquent les mouvements du personnage renforcent l'aspect dramatique de la scène. Les quatre changements d'interlocuteurs, voire cinq si on compte les "soldats", montrent la panique qui monte chez la mère.

 

Après une adresse générale, marquée par des impératifs à la deuxième personne du pluriel, la mère s'adresse au prêtre, comme un secours à un Dieu indulgent et généreux. Puis elle se tourne vers l'auteur du stratagème cruel auquel elle promet la réussite résumée en un seul pronom indéfini, elle entre dans un discours plus persuasif lorsqu'elle s'adresse à Montserrat en évoquant sa culpabilité et sa pitié. On cite "Tu ne veux pas", "Je t'en supplie".

 

Le champ lexical du temps que l'on retrouve dans une didascalie (qui souligne que la «machine » est en marche), mais surtout dans la répétition de mots et dans l'utilisation du futur proche souligne l'urgence de la situation.

 

 

Enfin l'association des champs lexicaux de la mort et de la parole marquent l'échec de son intervention. Elle termine son propos par un constat négatif au présent de vérité générale qui oppose une femme, de surcroît, une mère à un terme au pluriel.

 

→ Ce premier mouvement est marqué par l'ironie tragique du personnage de la mère qui est la seule à parler, promet que Montserrat va parler, mais à laquelle personne ne répond. Cette réplique insiste sur le désespoir de la mère, personnage pathétique qui échoue dans sa démarche. La tension semble à son comble et pourtant Izquierdo revient à la charge.

 

 

II. L'intervention d'Iziquierdo


À la différence de la mère, Izquierdo ne s'adresse qu'à Montserrat et utilise plusieurs stratagèmes pour faire plier le prisonnier. L'échec soulève son exaspération.

 

Il pratique le chantage, "si tu parles": subordonnée de condition, en exploitant la solidarité qui lie Montserrat et Bolivar en utilisant les mêmes mots "la vie sauve" et "déportés" et feint même d'être aux ordres de Montserrat, "Son Excellence". Il utilise des termes réalistes pour être crédible et convaincant.

 

La réplique du père Coronil interrompt à peine le propos d'lzquierdo. C'est une réplique autoritaire, condamnant le principe de l'autorité de Montserrat et Bolivar.

 

Devant le mutisme de Montserrat, Izquierdo use d'une violence qui préfigure la mort, comme on le voit grâce à la didascalie. Son exaspération est sensible: il donne deux fois l'ordre de parler. Il utilise un vocabulaire réaliste et le champ lexical de la violence. Le conditionnel "aimerait" a une valeur de souhait, il soulage son exaspération pat les mots.

 

 

La didascalie qui clôt le passage confirme l'ancrage tragique de la scène (la mort d'Elena, et le compte à rebours de celui de la mère) dans un certain respect de la bienséance classique et annonce le mouvement suivant. Le deuxième mouvement constitue l'acmé (sommet) de la tension de la scène dans la mesure où Izquierdo a perdu son sang froid, est entré dans une réaction violente que rien ne semble plus pouvoir arrêter.

 

 

III. La condamnation de la mère


Ce mouvement est marqué par une interaction entre les personnages, seul Montserrat reste impassible, immobile et ne parle pas, ce qui suffit presque à marquer l'échec du stratagème d'lzquierdo.

 

L'intervention de la mère est répartie sur deux répliques interrompues par Izquierdo. L'écriture de sa première réplique fait écho au début de la scène. On y retrouve les mêmes procédés de phrases exclamatives courtes.

 

Ils inscrivent son discours dans un registre tragique "Maudits" et pathétique renforcé par les didascalies. (Les imprécations sont caractéristiques de la tragédie.)

 

Elle offre le point de vue d'une mère souffrante et sensible entrée dans le furor: tragédie. L'invocation divine oblige en quelque sorte le père P.,dont on n'entend pas les paroles, à réagir. Il est donc complice.

 

La réplique d'Izquierdo, cruelle et insensible, "Débarrassez-moi de cette folle. Emmenez-là" contraste avec celle de la mère. La didascalie et les deux premières phrases injonctives soulignent le mépris d'lzquierdo pour la mère et son autorité de chef. Le troisième impératif "Dépechez-vous" ouvre le champ lexical du temps qu'lzquierdo va développer ensuite en s'adressant à Montserrat.

 

L'aspect accompli du passé composé (c'est fini) annonce un dénouement tragique. La colère finale laisse présager le pire.

 

La réplique finale de la mère est particulièrement pathétique, car elle reprend les termes du début de la scène "Non", "Je ne veux pas". Ainsi le spectateur connaît l'issue et aucun espoir n'est permis. L'adjectif hypocoristique "petit" qu'elle ajoute n'y changera rien.

 

Comme pour Elena la mort est suggérée (non plus par le bruit mais par les mouvements scéniques) ce qui renforce la violence psychologique. La présence militaire garantit l'exécution de la mère.

 

Tandis que le prêtre, inactif, se rend complice de l'exécution = une critique du rôle du clergé.

 

 

Conclusion

 

Une scène théâtrale d'une extrême tension renforcée par de nombreux procédés théâtraux: parallélismes et répétitions, mais aussi effets sonores et de nombreux mouvements et personnages.

Le choix d'une mère parmi les victimes renforce le pathétique. Montserrat reste impassible (du moins en apparence), mais le spectateur est à la fois terrorisé et apitoyé selon les principes d'Aristote (la tragédie provoque la catharsis chez le spectateur = elle lui inspire terreur et pitié).

Le stratagème souvent moteur de l'intrigue comique est au contraire ici au cœur d'une tragédie insoutenable.

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